Nous voudrions le croire. Les planètes pourraient entrer en voie d’alignement.
A commencer par la planète « innovation ». Car même si le numérique se diffuse moins vite dans le système de santé que dans d’autres domaines, son alliance avec le médicament, le dispositif médical, la génomique et les nano-technologies forme un cocktail puissant pour changer la vie des malades autant que les exercices professionnels. Tous nos repères vont se trouver bouleversés dans la décennie à venir qui sera aussi celle de la massification des cas chroniques: il ne s’agira plus de séjourner à l’hôpital pour une durée limitée, mais de vivre longtemps, plusieurs décennies probablement, avec une maladie, à son domicile ou au travail, même s’il faudra parfois retourner à l’hôpital.
Les stratégies publiques commencent à prendre en compte l’équation numérique elle-même: 5 territoires de soins numériques (TSN), pour 1,5 millions de patients potentiels bénéficient de 80 millions d’euros d’investissements publics, et 14 projets de e-santé dotés de 23 millions d’euros constituent la première marche, sans doute trop timide encore, d’une conversion du système de santé aux outils du numérique pour remplacer ou moderniser des organisations de soins obsolètes, résoudre les défis de la communication ou encore ceux de la mauvaise répartition de l’offre de soins.
La contrainte économique va pousser plus loin les exigences d’efficience du système de soin. S’il y a trop de soins inutiles, 30% selon certaines études, soit 55 milliards d’euros de ressources potentielles tout de même, nous ne parvenons pas à réduire leur impact délétère sur la ressource disponible. La tarification à l’activité (T2A), introduite en 2004, est un puissant toxique qui pousse l’hôpital à réduire les durées moyennes de séjour pour faire « rentrer » plus d’actes techniques, opératoires pour tout dire, au détriment des prises en charges plus coûteuses en temps et en ressources humaines qu’exigent pourtant les maladies chroniques. Si l’on ne lève pas la contrainte des soins inutiles nous n’aurons jamais assez d’argent pour financer les innovations dont nous avons tant besoin: au détriment des patients. Or, le numérique est un adjuvant majeur sur la route de l’efficience de la dépense de soins.
Autre planète en voie d’alignement, la contrainte organisationnelle : les déserts médicaux se multiplient et faute d’outils de régulation pour mieux répartir les médecins sur le territoire, il faudra pratiquer plus de « télé »: télémédecine, télésurveillance, téléconsultation… Aujourd’hui le préfixe « télé », c’est le numérique.
Et la planète « patient » ? Les injonctions publiques ou les aspirations individuelles à la responsabilisation des patients ne peuvent prospérer qu’avec l’aide du numérique. Les associations de patients tentent de relever le défi: ici un Living Lab, ailleurs des bases de données reposant sur les promesses de la collecte et du traitement des données issues de l’expérience des patients dans leur usage des soins. On verra dans quelques semaines si la liste des lauréats de l’appel à projet initié par la Direction générale de la santé pour soutenir l’implication collective des patients traduira une préférence numérique maintenant souhaitable.
Mais l’implication des patients dans leurs soins repose aussi sur des promesses d’actions publiques qui ne passeront à l’échelle qu’avec le secours des technologies du numérique.
Ainsi, avec juste raison le projet de loi de modernisation de notre système de santé prévoit la création d’un service public d’information en santé. Bonne idée puisque nos inégalités sociales de santé sont puissamment liées à l’asymétrie d’information en santé entre les citoyens, malades ou non, et ceux qui prodiguent et organisent les soins. A cet égard, qu’attendent les français ? Un « GPS » du système de soin qui réponde à cette question: où être soigné au meilleur prix et avec les meilleures chances ? Pour l’instant les palmarès des hebdomadaires ne répondent que pour les hôpitaux.
Mais ils n’indiquent pas la performance par service. Et le citoyen reste sans information sur les autres segments de l’offre : médecine de ville et établissements médico-sociaux par exemple. Mais nous avons aussi besoin d’information de référence sur la prévention des maladies et leurs traitements dans un langage simple, non scientifique et non technicien. Tout cela, « GPS » et information de référence, doit résulter d’une logique utilisateur et pas d’une approche « descendante » comme on a eu coutume de le penser et de le faire. Or, le numérique permet des approches collaboratives et participatives de l’information en santé. C’est le moment de foncer en trouvant une institution pour porter cette logique nouvelle.
Ce projet de loi prévoit aussi un nouveau dossier médical « partagé » (DMP) et non plus « personnel ». Marisol Touraine a indiqué publiquement son choix d’un « Blue button » à la française. De quoi s’agit-il? De faire en sorte que le droit d’accès du patient à ses données médicales soit suffisamment convivial pour qu’il se saisisse de ces informations pour être le patient-acteur que tout le monde attend. Il ne s’agit donc pas de lui dire seulement qu’il peut accéder à son dossier par son compte Ameli.fr. Il s’agit de lui offrir, probablement au bout de son smartphone, la visualisation de ses données sous forme d’infographies ou de data-visualisation.
Ici encore, fonçons. Sinon, à quoi cela nous servira-t-il d’accéder à des données de notre DMP proprement incompréhensibles? Ce sera un deuxième échec du DMP: après le désintérêt des médecins, la désaffection des patients. Si l’on veut que le DMP soit désiré, il faut le rendre désirable: c’est à dire « facile à lire, facile à comprendre ». Le numérique, comme le montrent les solutions créées aux Etats-Unis, par exemple, répond à cet enjeu.
Nous n’avons pas que changé de siècle, nous avons surtout changé d’époque. Le numérique est un facteur de plus grande implication des citoyens et des patients dans les décisions individuelles ou collectives qui les concernent. Ne gâchons pas cette chance.