Communiqué de presse – recours au conseil d’état

Coopération Patients et huit autres associations de patients attaquent auprès du Conseil d’État le décret du 10 novembre 2020 sur les travailleurs à risque de forme grave de Covid-19.

Voici notre communiqué de presse commun :

Paris, le 23 novembre, 2020

Neuf associations de patients attaquent auprès du Conseil d’État le décret gouvernemental du 10 novembre 2020 concernant les travailleurs à risque de forme grave de covid-19.

Le 10 novembre dernier, paraissait un décret concernant la mise en œuvre du chômage partiel pour les personnes vulnérables.

Neuf associations de patients attaquent auprès du Conseil d’État ce texte sur les points suivants :

  1. Le périmètre des pathologies concernées : ce décret ne respecte pas l’avis du HCSP (daté du 29 octobre) et écarte du dispositif de chômage partiel de nombreux citoyens vivant avec des facteurs de risque de forme grave de Covid19 et de décès. Parmi les pathologies
    « manquantes »1, l’insuffisance rénale de stade 3 à 5, ce stade étant associé à un sur-risque significatif très élevé.
  2. Les proches de personnes vulnérables sont exclues du dispositif de chômage partiel : ce décret efface la protection des proches cohabitant avec les personnes vulnérables – les exposant à un risque vital en cas de contamination dans leur foyer.
  3. L’inversion de la charge de la preuve en cas de litige : l’accès au chômage partiel n’est plus la norme mais devient l’exception. Le recours au télétravail est laissé à la discrétion de l’employeur, ainsi que l’application des mesures de protection renforcées. Les travailleurs estimant leur protection insuffisante, peuvent, certes, engager une démarche contre leur employeur via la médecine du travail. La réalité est que la nature conflictuelle de cette démarche est dissuasive pour les salariés.
  4. Les mesures de protection renforcées prévues dans le décret sont insuffisantes : aucune mention de la nécessité d’aération ou de filtration de l’air des lieux de travail pour limiter la transmission par aérosols, distanciation recommandée à 1m alors qu’au moins 2m à 2,5m sont nécessaires, etc.

L’objectif n’est évidemment pas d’éloigner de leurs lieux de travail les personnes vulnérables. Beaucoup ont d’ailleurs choisi de reprendre le travail en présentiel, dès lors que les conditions de leur sécurité sont réunies. Ce n’est malheureusement pas toujours possible.

Nous souhaitons que chaque personne vulnérable puisse vivre avec le virus, en ayant les moyens et le droit de s’en protéger et d’en être protégée. Il faut pour cela qu’elle puisse trouver les conditions de sécurité adaptées au risque qu’elle encourt, sans avoir à choisir entre sa santé et ses ressources.

1 En plus de l’insuffisance rénale, les autres facteurs de risque sont : grossesse 1er et 2ème trimestre, âge entre 60 et 65, cancers solides de moins de 5 ans, hypertension artérielle pulmonaire, artériopathie périphérique, fibrillation auriculaire, maladie thromboembolique, polyarthrite rhumatoïde, lupus systémique, syndrome de Down, troubles démentiels, cirrhose du foie.

Les neufs associations co-requérantes sont :

Aider à Aider, destinée à aider les associations de patients en cancérologie et les malades.
AIDES est une association qui lutte avec les personnes vivant avec le VIH et les hépatites.
Cancer Contribution qui promeut la démocratie en santé en cancérologie.
ANDAR, Association Nationale de Défense contre la polyArthrite Rhumatoïde apporte information et soutien aux personnes malades et leurs proches.
Coopération Patients réunit des personnes impliquées dans la démocratie sanitaire.
France Lymphome Espoir, informe et accompagne les patients atteints de lymphome.
La Ligue contre l’obésité aide, soutient et accompagne les personnes souffrant d’obésité.
Renaloo, association agrée défend l’amélioration de la qualité des soins, de la vie et de l’accompagnement des personnes insuffisantes rénales, dialysées et greffées.
RoseUp Association informe, accompagne et défend les droits des malades de cancer.

Audition Comité Consultatif National d’Ethique

Coopération Patients a été auditionné le lundi 9 novembre par le Comité Consultatif National d’Éthique dans le cadre de sa saisine sur le tri des patients en période de pandémie.

Nous avons fait les propositions suivantes :

Un débat public et citoyen est éminemment nécessaire.

Nous ne proposons pas de solutions « toutes faites », mais nous plaidons pour qu’un cheminement collectif reposant sur des règles communes soit mis en place pour l’élaboration de l’ensemble des décisions qui devront être prises.

Il devra notamment s’appuyer les principes suivants :

– La collégialité et la transparence dans les prises de décisions et sur quels éléments, elles sont fondées

– Le refus du recours unique à des critères simplistes et/ou à des algorithmes

– La participation des usagers à l’ensemble des étapes

– L’harmonisation des pratiques sur le territoire

– La mise en œuvre d’une veille éthique dans tous les établissements de santé intégrant des représentants des usagers

– L’accompagnement des patients « laissés sur le côté » et de leurs familles, le respect de leurs volontés, la garantie de leur dignité y compris en fin de vie

– L’évaluation des conséquences des choix décisionnels et des pertes de chance, pour les personnes atteintes du Covid19 et pour les autres maladies, chroniques notamment

Pour lire le texte intégral de notre audition cliquez sur « télécharger ».

Déprogrammer les soins ? A condition de gérer les risques collectivement !

Voici que la deuxième vague d’épidémie de COVID-19 tant redoutée pousse de nouveau à déprogrammer les soins. Les causes de ce rebond épidémique sont multifactorielles et nous n’allons pas, au moment où un haut niveau de cohésion nationale est nécessaire, nous envoyer les responsabilités à la figure les uns et les autres. Essayons plutôt de ne pas répéter les errements du printemps.

Comme au cœur de la première vague, la déprogrammation des soins touche en priorité les malades chroniques, dont il faut rappeler qu’ils constituent un tiers de la population. Pas moins de 20 millions de personnes. Probablement une personne par famille pour marquer un peu plus les esprits s’il le faut. Nous parlons aussi bien d’interventions chirurgicales, d’examens complémentaires invasifs ou courants, de dépistages, de traitements. Nous parlons des cancers, des greffes, des maladies cardiovasculaires, neuro-dégénératives, etc. Nous n’oublions pas les situations aigues, comme en témoigne la diminution « spontanée » des diagnostics d’infarctus ou d’accident vasculaire cérébral au plus fort du confinement de printemps.

Mais au fait, pourquoi déprogrammer les soins ?

Une question qui peut paraître déphasée compte tenu du péril auquel nous sommes tous, collectivement, exposés. Pourtant, sommes-nous vraiment obligés d’acter la déprogrammation des soins ?  Faut-il se soumettre aux plans blancs dont on apprend par voie de presse que certains d’entre eux ont vocation à s’inscrire dans la durée ?

Se questionner n’est ni fracturer la cohésion sociale ni désunir la Nation. C’est au contraire poser les termes d’un débat auquel la société civile devrait avoir le droit de participer afin d’aboutir à des décisions concertées et socialement acceptables.

La déprogrammation des soins ne peut être envisagée qu’à un stade ultime, à la stricte condition d’avoir épuisé toutes les obligations de moyens visant à garantir le droit de chacun d’être dépisté et soigné dans les meilleurs délais. La déprogrammation, c’est la dernière cartouche à utiliser pour faire face, lorsque le constat d’impuissance est établi, et ce, de manière transparente, expliquée à tous.

Or, que savons-nous des moyens opérationnels qui sont mis en œuvre pour favoriser la coopération inter-hospitalière, inter-régions voire transfrontalière ? Sommes-nous certains que tout a été fait pour soutenir la permanence des soins et le personnel hospitalier que nous savons épuisé, au bord du burn-out pour certains ? Quelles garanties avons-nous au sujet du soutien à l’engagement médecine de ville ? Quid de la reconduction des consultations téléphoniques qui ont répondu à des besoins urgents au pic de la première vague ?

Ces réponses sont nécessaires car la déprogrammation, c’est la dernière branche de l’arbre décisionnel tant ses conséquences sanitaires seront dramatiques.

Les conséquences pour ces malades sont ravageuses. Deux situations l’illustrent concrètement : la cancérologie et les transplantations d’organe.


Dépistage, diagnostic et traitement des cancers ont subi l’impact majeur de la COVID 19 au plus fort de la première vague. Chaque hôpital, public comme privé, a vu des chirurgies déprogrammées (dont le cancer représente une majorité des actes). Même les centres de lutte contre le cancer, un temps « sanctuarisés », ont participé à l’effort général, accueillant des patients COVID-19 avec, puis sans cancer.

Les patients, s’ils ont continué à recevoir leurs soins indispensables, ont dû faire face à la disparition des soins de support et à la solitude de devoir consulter, ou être hospitalisés, sans accompagnement, solitude aggravée par la réduction de leur réseau de soutien personnel du fait du confinement.

Malgré des variations dans l’estimation des conséquences de ces retards de prise en charge, celles-ci sont réelles et n’ont sans doute pas fini de se faire sentir. Certains experts estiment ainsi que  la survie à six mois pourrait être diminuée de 30 % par un retard même modeste de prise en charge chirurgicale pour certains cancers agressifs en stade 2 (vessie, poumon, estomac, par exemple).  Une autre simulation statistique effectuée à l’hôpital Gustave Roussy estime entre 2 et 5 % la surmortalité à 5 ans liée aux conséquences de lapremière vague.

Il en va de même pour les activités de transplantation. Entre mi-mars et mi-mai dernier, au motif du risque sanitaire, les greffes rénales ont été arrêtées en France, tandis que les transplantations d’autres organes, jugées plus « vitales » se poursuivaient. Ainsi, sur cette période, environ 110 donneurs décédés ont été prélevés d’au moins un organe (cœur, foie, poumons, etc.), mais leurs 220 reins ont été laissés en place et donc perdus. Si l’on compare l’activité à celle de 2019 sur la même période, ce sont près de 600 greffes de rein qui n’ont pas été réalisées. Évidemment, les patients qui attendent une greffe de rein peuvent survivre, grâce à la dialyse. On a même pensé un moment qu’elle serait moins risquée face à la COVID-19 que le traitement immunosuppresseur destiné à empêcher le rejet de greffe. C’était sans compter les expositions répétées au virus à l’occasion des trois séances de dialyse hebdomadaires, impliquant de multiples contacts avec les transporteurs, les soignants, d’autres patients, ou des lieux potentiellement contaminés. Depuis le début de l’épidémie, près de 5 % (2 441) des patients dialysés en France ont été infectés par le coronavirus et 20 % de ceux-ci en sont morts. La majorité de ces contaminations a eu lieu durant la période de suspension de la greffe rénale. Les patients transplantés, eux, ont pu se confiner efficacement : moins de 2 % d’entre eux (768) ont été atteints.

Ces deux situations, cancer et greffe, sont emblématiques et bien documentées. Elles n’occultent pas toutes les autres pathologies chroniques, les insuffisances respiratoires ou cardiaques, les malades porteurs de pathologies rhumatologiques lourdes, les diabétiques au suivi dégradé, etc.

Pas question d’opposer les pathologies entre elles, de mettre en compétition les malades à privilégier contre d’autres, et c’est tout l’objet, précisément, de cette prise de position. Face à la deuxième vague et aux déprogrammations, massives et non concertées, déjà engagées, nous devons réagir collectivement pour participer aux choix qui sont faits.

  • Ces choix devraient être exposés aux Français.

En lieu de quoi, on nous expose une seule variable : rester sous la barre des 5 000 personnes admises en réanimation. Nul ne souhaite l’effondrement du système de santé. Pour autant, l’appel à la responsabilité des Français marcherait mieux si l’on exposait clairement l’ensemble des risques associés aux arbitrages politiques qui n’ont pour seule constante que celle d’être évolutifs. A cette exigence s’ajoute celle de transparence des obligations de moyens mis en œuvre par l’État et ses agences pour préparer le pire. Il ne s’agit pas uniquement de se protéger par le masque, le gel, la distance physique, la bulle sociale et les gestes barrières. Il s’agit aussi de faire en sorte que ceux d’entre nous qui sont affectés par une maladie chronique n’encourent pas de risque supplémentaire du fait d’une restriction des soins puisqu’aux termes de la Constitution « La Nation garantit à tous, (…) la protection de la santé ».

  • Ces choix devraient être éclairés.

Car ils exposent des tensions éthiques dont la population en général, et les usagers du système de santé en particulier, n’ont jamais pu prendre la mesure, car exclus de toute délibération. Si l’avis du Comité consultatif national d’éthique du 13 mars 2020 rappelle justement l’importance d’un « processus de décision politique s’appuyant sur l’expertise et la contribution de la société civile. », les actes n’ont pas suivi. Alors que les enjeux éthiques sont si nombreux, quelle prise en compte des vulnérabilités et des fragilités des patients nécessitant une continuité non négociable de leurs soins ? Comment réduire les risques liés à l’hétérogénéité des pratiques locales en matière de soins indispensables ou de priorités ?

Aux confins de l’éthique, quelle réflexion démocratique sur les causes de la saturation des hôpitaux et des réanimations dès l’entrée en deuxième vague, quand les promesses de l’été assuraient une sérénité retrouvée et une disponibilité en lits et en matériels sans précédent ? Négliger l’épuisement professionnel et le stress post-traumatique prévisible (jeunes soignants et étudiants envoyés au feu) n’est-il pas une question pertinente de l’éthique du soin ?

  • Ces choix devraient être discutés collectivement.

Décider en contexte d’incertitude est le défi de la moitié des décisions de santé. C’est encore plus vrai et plus aigu, devenant dès lors un enjeu central, en situation d’urgence ou de catastrophe sanitaire. La pandémie répond à ces deux critères. Comme l’État, le corps médical ne peut arbitrer seul sur les priorités de santé ; il lui est demandé de contribuer à exposer les enjeux médicaux en complétant sa propre expertise scientifique par la somme des regards des usagers, des citoyens et d’autres types d’experts (sociologues, éducateurs, etc.), en un mot de favoriser les conditions d’une démocratie en santé effective. En particulier dans un pays qui a inscrit comme un droit du patient, à l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, le principe de la prise de décision partagée. 

Mais comme nombre d’associations ou d’organismes l’ont relevé, pendant la COVID-19 la « démocratie sanitaire » à la française a été mise au rencart. Malgré les appels pressants du président du Conseil scientifique COVID-19 qui n’a de cesse, depuis le début de la crise, de rappeler le rôle clé de la société civile dans la gestion de cette crise sans précédent !

À l’échelle locale, les médecins doivent pouvoir expliquer aux patients les règles et les conditions dans lesquelles la déprogrammation sera faite (quelle surveillance, quelle suppléance en attente, etc.) et les risques afférents ? Pour cela, il leur faut créer et s’approprier des recommandations transparentes, en lien avec les patients et leurs représentants.

Pourtant, le plus souvent, ils n’en ont même pas l’occasion car la déprogrammation est décidée administrativement. Par exemple, au printemps, une part importante des patients en attente de greffe rénale n’ont même pas été informés de sa suspension (1), décision prise sans aucune participation de leurs associations !

  • Ces choix devraient être compensés.

Quelle suppléance des traitements pendant la deuxième vague ? Quelles actions d’évaluation et de traitement lors du retour à la normale ?  

Des recommandations ont été publiées pour garantir la continuité des greffes durant la deuxième vague, mais leur mise en musique sur le terrain se heurte à une inertie et à un défaut d’anticipation qui ne peuvent plus s’expliquer par l’effet de sidération provoqué par l’épidémie. Qui assumera la responsabilité de cette impréparation si, comme on le craint, elle conduit à nouveau à un recul majeur de l’activité de greffe et donc à des pertes de chances considérables pour les patients en attente ? Humilité, transparence et reconnaissance d’une impérieuse collégialité sont, ici encore, au cœur des leviers propres à éviter l’éternel bégaiement de l’histoire et de nos errances.

Bien au-delà d’enjeux strictement médicaux ou sanitaires, la pandémie Covid-19 convoque des questions dont la société tout entière a le droit de s’emparer. Les dilemmes posés sont d’ordre tout autant politique, sociologique, éthique, que médical. Tous les équilibres, en apparence stables jusqu’alors, sont ébranlés au point d’imposer avec brutalité des questionnements et, in fine, des choix inédits en dehors de périodes de guerre ou de médecine de catastrophe. Parce que faire face à une épidémie n’est pas une guerre et ne suscite pas semblable mobilisation manichéenne face à un ennemi identifié, l’urgence démocratique est d’actualité. Passée la sidération initiale (et encore…), la pandémie laisse une place pleine et entière à l’exercice de la démocratie en santé, de la démocratie tout court.

Nous n’avons que trop tardé à tirer collectivement les enseignements de la première vague avant la deuxième vague qui s’annonce comme un tsunami. Trop nombreux sont les malades évincés du système de soins, au nom de l’urgence mais sans discussion. Et sans compensation raisonnée. Ce n’est pas acceptable.  Nous devons travailler tous ensemble, en toute transparence, sur les modalités de répartition de ressources sanitaires mises à dure épreuve par le retour de la pandémie.


(1) Covid-19 and chronic kidney disease: It is time to listen to patients’ experiences”, BMJ, August 28 2020 https://blogs.bmj.com/bmj/2020/08/28/covid-19-and-chronic-kidney-disease-it-is-time-to-listen-to-patients-experiences